Dans un contexte de crise sanitaire qui impacte lourdement l’économie, les entreprises doivent chercher une nouvelle manière de continuer leur activité. Mais avec les attentes grandissantes des consommateurs en matière de transition écologique, les entreprises se doivent d’inclure le développement durable à leur business model. D’après le baromètre de GreenFlex paru en 2019, les français pensent à 61% que les entreprises sont un acteur majeur du changement. Elles sont presque à égalité avec l’Etat (67%). Nous avons rencontré deux experts pour avoir leur œil de professionnel sur le rôle des marques dans la transition écologique. Raphaëlle Vogel dirige Stepping Stones, un cabinet de conseil en RSE et stratégies responsables, et Sébastien Mérigout est le fondateur du cabinet de conseil en stratégies Planète Nudge.
Avant d’aller plus loin il est important de bien comprendre de quoi on parle. Le développement durable est un concept qui consiste à revoir sa stratégie économique à long terme pour avoir des conséquences environnementales et sociales positives.
Dans ce nouveau mode de pensée, le rôle des marques est double. Elles doivent avant tout chercher à préserver les ressources naturelles en ayant un impact environnemental réduit au maximum. Pour ce faire, elles cherchent de nouvelles ressources et de nouveaux modes de production. Dans un second temps les marques doivent amorcer de nouveaux modes de consommation, ce qui, par effet domino, incite les consommateurs à changer leurs modes de consommation. Dans ce cas, elles peuvent jouer sur leur fonctionnement en interne (management vertical par exemple) et sur leur manière de communiquer. Bien-sûr, le consommateur peut aussi changer de lui-même ses habitudes de consommation pour réduire son impact environnemental et choisir d’acheter un produit ou un service dans une entreprise parce qu’elle partage ses valeurs. D’ailleurs, pour 63% des français qui ont changé au moins quelques-unes de leurs pratiques pour réduire leur impact environnemental (ils sont 80 %), le fait qu'une entreprise propose des produits durables renforce leur confiance en elle.
Les sources de motivation des marques à inclure le développement durable dans leur stratégie sont multiples. Il permet de mieux gérer ses ressources ou de revaloriser ses déchets et ainsi de faire des économies et de réduire les risques. Son introduction a aussi un effet positif sur l’image de la marque ou de l’entreprise, amenant de nouveaux clients. C’est donc un avantage concurrentiel qui tend à augmenter les bénéfices de l’entité.
Pour entamer sa transition écologique, Sébastien Mérigout assure que « l’entreprise doit d’abord penser à “comment faire du développement durable tout en étant rentable” et non à “comment faire du business en ajoutant un petit peu d’environnement” ». Voici l’exemple d’une stratégie environnementale réussie.
Bel exemple de marque qui a mis le développement durable au cœur de son business model, Soulyé, est une marque française de chaussures féminines lancée en 2019 par Isabelle Pierard. Végétarienne et militante L214 dans sa vie personnelle, elle est complètement concernée par la mutation des modes de consommation et consciente de l’impact environnemental de la mode. Avec Soulyé, elle souhaite « participer à la mode responsable » et « conserver la biodiversité dans sa globalité ». L’idée de ce concept éthique et vegan vient de la rareté de l’offre. « Je ne savais pas où acheter des chaussures qui partagent mes valeurs », raconte-t-elle.
De ce constat a émergé l’idée de faire des chaussures éco-conçues à partir de matériaux déjà existants, issus de « stocks dormants », ou de matières végétales (appleskin et pinatex en majorité) issues des déchets alimentaires. Tout provient de France ou d’Europe et les matières recyclées et recyclables sont privilégiées. Le bois de la semelle est issu de forêts gérées durablement, le carton de la semelle intérieure et 100 % recyclé et recyclable, le plastique du talon est 100 % recyclable et les boîtes qui enferment les chaussures sont en carton recyclé et sont sans impression. Côté transport, les chaussures d'Isabelle Pierard sont achalandées vertueusement par Colissimo et UPS qui s’engagent dans la compensation carbone du déplacement. Grâce à son utilisation d’alternatives aux matières animales, Soulyé a été récompensée par la certification PETA Approved Vegan. Outre le pilier environnemental, le business model de Soulyé repose sur un pilier social : l’atelier de confection a été choisi pour la rémunération juste qu'il accorde à ses employés et pour sa localisation parisienne. Pour aller jusqu’au bout, Isabelle s’est associée avec une designeuse issue d’une formation de bottier et qui partage ses valeurs environnementales. Pour aller encore plus loin sur le plan social, Isabelle Pierard prévoit de collaborer avec des personnes en réinsertion ou des personnes handicapées pour l’envoi des chaussures et sur le plan environnemental, elle travaille sur l’utilisation de nouvelles matières originales et plus locales telles que le cuir de raisin, le lin (la France en est le premier pays producteur) ou le wax (originaire des Pays-Bas). Elle souhaite aussi pouvoir donner une seconde vie à ses souliers en les rendant recyclables.
Pour créer ce concept, Isabelle a donc réfléchi à toutes les étapes de fabrication d’une chaussure et a cherché à respecter les caractéristiques propres du secteur pour plaire à des acheteuses conscientes de l’urgence climatique. Ses chaussures gardent la robustesse, l’esthétique et le confort appréciés tout en affichant un prix avoisinant les 200 euros, justifié par la démarche écologique de l’entreprise. « Le challenge pour une marque est d’aller au-delà du rapport qualité-prix », indique Raphaëlle Vogel. Pour complètement s’inscrire dans la transition écologique, « il faut penser à l’ensemble du cycle de vie du produit, et ce dès sa conception », ajoute-t-elle. « L’origine des matériaux, même recyclés, est important à connaître, informe la spécialiste de Stepping Stones, et les déchets alimentaires font partie de toute une chaîne d’approvisionnement qu’il est utile d’interroger. » Connaître la provenance exacte des fruits peut par exemple éviter d’avoir une matière première issue de fruits produits dans des serres en Espagne, avec des pesticides et dans le non-respect des droits humains. Mieux vaut en effet privilégier l’emploi local et une faible empreinte carbone.
Sébastien Mérigout rappelle que pour savoir si une entreprise s’inscrit réellement dans la transition écologique ou non, il est important de vérifier les « moyens matériels, humains et financiers utilisés, les échéances et la part allouée aux investissements orientés ». « L’entreprise, poursuit-il, peut aussi suivre une logique d’économie circulaire et de rationalisation des pièces fabriquées », Soulyé qui ne présente donc que des pièces dont la quantité est limitée s’inscrit donc complètement dans cette démarche environnementale, d’autant plus que sa créatrice est personnellement engagée pour le sujet. « Chacun, estime-t-il, dans sa fonction peut changer les choses et faire en sorte que l’organisation (entreprise ou collectivité) dans laquelle il travaille s’oriente vers le développement durable ». Il est donc nécessaire d’effectuer une transition des métiers classiques et d’y inclure le développement durable. Cela vient confirmer que pour travailler tout en préservant la planète, il n’est pas forcément nécessaire de faire un métier spécialisé et transversal tel que responsable RSE mais il suffit « soit de travailler dans une entreprise qui a pris conscience de ses enjeux RSE et qui s’engage sur le sujet, soit d’intégrer les principes du développement durable à son métier », indique Raphaëlle Vogel.
La transition écologique présente donc beaucoup de bénéfices pour les entreprises qui doivent comprendre leur rôle dans les mutations du monde et des modes de consommation. Pour éviter le greenwashing, la RSE et l’économie circulaire sont donc des outils pertinents.